Pour cette onzième édition du Festival José David, Magali Goimard sa directrice artistique avait choisi d’emmener le fidèle public sur les rivages de la Grèce dont le philosophe allemand Hegel a dit qu’à ce mot » le coeur de l’homme cultivé d’Europe se sent en terre natale. » Le lundi 12 août à 20h30 dans une chapelle quasi comble, Magali avait invité le guitariste flamenco François Aria et la mezzo-soprano Daphné Souvatzi pour un programme de chants traditionnels qui emmenait un public rapidement conquis des bords de la Mer Noire aux îles grecques, du Portugal aux rivages de la Turquie, dans une première partie qui s’achevait sur le » Lamento de la Ninfa » de Monteverdi. Voix chaude et vibrante, aussi pure dans les fortissimi que dans les passages mezzo forte ou pianissimi, Daphné Souvatzi faisait passer de nombreux sentiments, de la tristesse à la colère ou à la joie d’être aimée, soutenue par une guitare dont les sons à la fois amples et chaleureux mettaient en valeur toute la poésie des chansons interprétées, même si les textes ne nous étaient pas compréhensibles.
Daphné Souvatzi, François Aria : Thalassaki ( Iles grecques )
La seconde partie commençait par la très belle mélodie de Reynaldo Hahn » A Chloris » où cette fois la mezzo-soprano était accompagnée par Magali Goimard qui avait ouvert le festival en interprétant de façon énergique » Crépuscule marin » de José David, lui-même grand voyageur, attiré aussi par l’Orient.
Magali Goimard : José David, Crépuscule marin
Les compositeurs espagnols étaient à leur tour à l’honneur, qu’il s’agisse du poème de Miguel Hernandez « Compagnero » ou de la berçeuse séfarade » Nani nani » de Lorca servis par la voix forte et sensuelle de Daphné Souvatzi. François Aria nous avait montré qu’il est un excellent interprète, habité par la musique, mais le public a aussi découvert ses talents de compositeur lorsqu’il interpréta une pièce intitulée » Encuentro « .
François Aria interprétant sa propre composition
Avant le rappel demandé par une chapelle enthousiaste, les deux artistes avaient interprété avec beaucoup de passion » Yo que soy Contrabandista » de Garcia del Populo.
Le festival était lancé avec un programme inhabituel dans la chapelle, mais c’est aussi la volonté de Magali Goimard d’ouvrir le festival à des répertoires différents de ceux auxquels elle nous a habitués depuis 10 ans : c’est aussi l’occasion d’ouvrir le festival à un public plus large.
Le second concert » Des femmes et des Dieux » mettait en valeur des héroïnes de la Grèce antique, victimes d’un destin cruel et fatal. Qu’il s’agisse d’Electre, de Médée, de la poétesse Sapho, d’Hérodiade ou plus près de nous Thaïs ou Mireille, toutes ces femmes furent chantées avec l’engagement, la passion et la sensibilité que sait transmettre la soprano Cécilia Arbel. Sa voix couvre tous les registres, du plus fort au plus doux. De mezzo-forte en cantabile, elle a une nouvelle fois séduit le public présent ce mardi 14 août. Interprétant avec le talent qu’on lui connaît aussi bien Glück que Mozart, Cherubini que Gounod, ou encore Massenet, qu’elle apprécie tout particulièrement.
Cécilia Arbel dans l’extrait de l’Idoménée de Mozart
Mais on sait aussi que Cécilia est tout aussi capable de jouer la comédie et, après l’Idoménée de Mozart, l’Alceste de Glück ou l’Hérodiade de Massenet, l’atmosphère fut plus détendue lorsque la soprano provençale nous interpréta avec beaucoup de fantaisie l’ » Invocation à Vénus » extrait de la Belle Hélène d’Offenbach. Après les larmes, le sourire. Précisons aussi que dans un souci didactique Cécilia, de même que chaque artiste, présentait chaque oeuvre de façon que chacune et chacun puisse parfaitement situer le personnage et la situation qui lui étaient présentés, . La qualité du chant était soutenue par la flûte toujours virevoltante de Jérôme van Wynsberge – fidèle d’entre les fidèles – et le piano toujours infatigable et talentueux de Magali Goimard. Ces grands moments d’émotion que nous procura le chant de Cécilia ne furent pas les seuls puisque le duo piano – flûte gratifia le public d’une superbe interprétation de deux épigraphes antiques de Claude Debussy : « Pour invoquer la pluie au matin » et » La danseuse au crotales », sans oublier leur jeu complémentaire et tout en nuances dans la » Danse pour une déesse » de Reynaldo Hahn.
Magali Goimard, Jérôme van Wynsberge dans Debussy
Magali Goimard, seule au piano faisait aussi ressortir toute la poésie de la musique de José David dans son » Thème et variation pour piano » comme elle l’avait fait la veille en ouvrant le festival avec le » Crépuscule marin « . En cette veille du 15 août, les trois complices d’un soir faisaient découvrir à l’assistance la magnifique » Prière des saintes Maries de la mer » du regretté Alain Vanzo. Le public debout et insatiable obtenait des trois artistes un ultime rappel et sans se faire « prier », ils interprétaient l’émouvant » Ave Maria » de … José David ! Il n’y avait pas mieux pour terminer la soirée.
Prière des Saintes Maries de la mer
L’édition 2024 est l’année des » Trio « . En ce vendredi 16 août Magali Goimard avait invité la mezzo Julie Nemer – désormais une habituée du festival – et le baryton Timothée Varon que le public sablais avait le plaisir d’entendre pour la première fois. Le programme de ce troisième concert allait offrir aux auditrices et auditeurs de la chapelle des oeuvres variées dans un ensemble plutôt léger qui contrastait avec les moments parfois sombres du concert du mercredi précédent. La soirée commençait par trois chansons de » Bilitis » sur des poèmes de Pierre Louys dans lesquelles Julie Nemer faisait entendre une voix puissante et colorée, mais aussi, selon les besoins de la partition, plus douce et tendre.
Julie Nemer : La flûte de Pan
Cet hommage à la mélodie française se poursuivait avec trois airs de Gabriel Fauré, extraits de » L’horizon chimérique » d’après les paroles de Jean de la Ville de Miremont, qui permettaient à Timothéé Varon de montrer d’emblée l’étendue de son talent qui n’allait cesser de croître tout au long du concert puisqu’après Fauré c’est dans l’air célèbre de l’oiseleur Papageno de La Flûte enchantée que le baryron faisait entendre une voix chaude et enjouée soulignant le côté à la fois naïf et bon vivant du personnage créé par Mozart. Auparavant, Magali Goimard au piano nous avait fait découvrir les » Naïades » de la compositrice Hedwige Chrétien qui mériterait d’être plus souvent jouée.
Magali Goimard interprétant » Naïades »
Julie Nemer nous a quant à elle montré qu’elle chante aussi bien le français (!) que l’anglais, l’allemand ou l’italien, soit dans Haendel, l’air de Déjanira, extrait de l’opéra Hercule, soit dans Kurt Weil : » Nana’s lied » de Brecht, soit avec Timothée Varon dans le duo Figaro – Rosine du Barbier de Séville de Rossini, duo au cours duquel les deux interprètes montraient toutes leurs qualités de chanteurs et d’acteurs d’opéra.
La seconde partie du concert était tout aussi enchanteresse et les trois complices d’un soir atteignaient des sommets qui séduisirent l’assistance, celle-ci ne ménageant pas ses applaudissements. Le numéro de comédie donné par le baryton dans les chansons traditionnelles américaines arrangées par Aaron Copland, notamment » I bought me a cat » restera dans les mémoires.
Thimothée Varon chantant Papageno ( Mozart La flûte enchantée )
Retenons aussi l’extraordinaire » Duo de la mouche » extrait d’ » Orphée aux Enfers » d’Offenbach au cours duquel baryton et mezzo – soprano soutenus par un piano virevoltant donnèrent un numéro de chant et de comédie à montrer dans tous les conservatoires ! Toujours soucieuse de mettre en valeur le musicien qui donne son nom au festival Magali Goimard avait programmé la création de deux mélodies de José David : » Je chante pour elle » et » Un air que j’ai en tête « , interprétés avec beaucoup de grâce par Julie Nemer. En fin de concert Magali donna d’une façon légère et enjouée le « Badinage pour piano « . Le public enthousiaste – et comment pouvait – il en être autrement? – demandait un bis. Ce fut Mozart et » Ci darem la mano » de Don Juan où le piano, avec toute la richesse et les nuances que Magali Goimard sait tirer du clavier, accompagna merveilleusement les deux voix touchantes de Zerline et Don Juan en séducteur invétéré avant que la chapelle ne s’éteigne dans l’attente du dernier concert.
Mezzo-soprano et baryton dans le » Duo de la mouche « d’Offenbach
Ce quatrième et dernier concert » Magie de la musique » offrait une touche plus romantique, toute la première partie étant consacrée à des musiciens d’Europe centrale. Le public présent avait le plaisir de retrouver le violoniste François Pineau- Benois qui ouvrait la soirée avec Magali Goimard en interprétant la » Sonatine n° 3 en sol mineur « de Schubert. Interprétation faite d’enthousiasme et de mesure où piano et violon se répondaient dans un jeu complice qui d’emblée séduisit l’assistance.
Magali Goimard, François Pineau-Benois dans la sonatine de Schubert
Le ton était donné et le niveau d’interprétation allait rester élevé que ce soit dans le » Caprice viennois » de Kreisler, ou la » Slavonic fantaisie » du même Kreisler d’après Dvorak.
François Pineau-Benois : Kreisler, » Caprice viennois »
Julie Nemer n’était pas en reste qui, d’une voix pure aussi bien dans les forte que dans les pianissimi nous faisait découvrir les » Pargas klagefield » toujours de Dvorak, d’après un poème grec ancien, interprétant ensuite avec beaucoup de finesse » Blumenfield » de Carl Reinecke inspiré de Schubert. C’est sur trois » Liebeslieder » de Reinecke que s’achevait cette première partie dans une interprétation mêlant fougue et mesure.
Julie Nemer, Magali Goimard : » Blumenfield » de Reinecke
Précisons que les deux morceaux » Caprice viennois » et » Blumenlied » avaient accompagné deux numéros de magie » Les foulards noués » et » La corne d’ abondance » réalisés par le magicien Jan Maad et sa comparse Choupinet. L’association musique-magie se poursuivait dans la seconde partie, puisque sur le » Caprice » de Paganini – dans une interprétation toute en nuances de François Pineau – Benois, Ian Maad et Choupinet faisaient danser les » Pièces voyageuses » ou montraient » Pierrot aux Colombes » sur » La fille aux oiseaux « de Georges Dancia qui réunissait piano, violon et voix dans un ensemble parfaitement harmonieux.
Jan Maad et Choupinet : » La corne d’abondance »
Outre Georges Dancia, Magali Goimard nous faisait découvrir la » Suite sur des thèmes grecs » pour violon et piano de Maurice Emmanuel qui fut aussi le professeur de José David au Conservatoire de Paris. Auparavant nous avions eu le plaisir d’entendre la sublime » Berceuse » pour violon et piano de Gabriel Fauré ainsi que le virevoltant « Rondo » de la » Sonate pour violon et piano » … de José David. Le concert s’achevait par une touche de fantaisie et de légèreté avec deux airs célèbres d’André Popp : » Love is blue « , succès international, et la belle chanson créée par Marie Laforêt » Mon amour, mon ami « , chantée en procurant beaucoup d’émotion par Julie Nemer. Les applaudissements une nouvelle fois enthousiastes saluaient les cinq artistes de ce dernier concert qui s’achevait, ainsi que le festival, par la reprise de la mélodie de Reynaldo Hahn, le très touchant » A Chloris « .
N’oublions pas non plus les deux intermèdes cinématographiques – grâce au prêt du Centre national du Cinéma -, » Le retour d’Ulysse » et » Une conquête « , » Une femme collante « , illustrés musicalement par les artistes du festival, liens étroits entre l’image et le son, le noir et blanc des images et celui des partitions.
Ce fut encore une belle édition, riche en moments d’émotion, de gravité, mais aussi de fantaisie et d’humour, qui fait de ce festival José David et du lieu où il se déroule un moment privilégié de la saison estivale aux Sables d’Olonne. Faisons confiance à Magali Goimard pour nous préparer une 12 ème édition aussi séduisante en 2025 !